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Elsa Guillaume

10/29/2018

 
Photo
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Gobé, 2014 - céramique, haricots noirs, caoutchouc et son sous-marin, 300x400cm
J'ai rencontré Elsa Guillaume lors de ma mission à l'Institut Culturel Bernard Magrez où elle a été en résidence pendant trois mois.
Née en 1989 à Carpentras, elle est titulaire d'un diplôme national supérieur d'arts plastiques aux Beaux-Arts de Paris. Elle a obtenu le prix COAL en 2015 qui lui a permis de vivre une expérience fantastique : partir un mois durant en résidence sur le bateau d'expéditions Tara dans le cadre de sa mission "Les récifs coralliens face au changement global de la planète". 
Rencontre.
YAR : Quel a été ton parcours d'artiste ? Comment es-tu venue à l'art ?
J'ai toujours été manuelle, gribouilleuse et c'est naturellement que j'ai eu envie de poursuivre des études artistiques. Aux Beaux-Arts de Paris, j'ai découvert, entre autres médiums, la céramique, dans les ateliers de St-Ouen. Coup de foudre. Cela m'a permis de donner corps à mon univers graphique, d'en explorer d'autres facettes. Les Beaux-Arts demandent beaucoup d'autonomie et on y attrape le goût de la liberté.
"En s'émerveillant pour les infinis possibles de la Nature, l'on s'intéresse aussi inévitablement à ce qui la menace. Je crois fermement au pouvoir de sensibiliser à certains problèmes à travers l'émerveillement."
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Monticule, 2014 - céramique, métal, 160x100x50cm
​YAR : La question écologique fait-elle partie de ton travail ?
​Si oui, comment est-elle entrée en résonance avec ton travail ? 

Ce qui sort de l'atelier, ce sont des œuvres qui synthétisent plusieurs intérêts forts, des influences et des expériences. Et bien souvent, c'est seulement une fois les pièces réalisées, et le recul pris, que je constate les différentes "strates" qui composent une oeuvre. Plus largement, j'ai toujours eu une sensibilité à la nature, un attrait pour les lieux sauvages, propices aux fantasmes et aux désirs de voyages. C'est à travers ces thèmes de prédilection que fuse la question environnementale. En s'émerveillant pour les infinis possibles de la Nature, l'on s'intéresse aussi inévitablement à ce qui la menace. Je crois fermement au pouvoir de sensibiliser à certains problèmes à travers l'émerveillement.
​C'est d'ailleurs le pari que fait la goélette Tara Expedition, qui mène de larges études scientifiques sur le réchauffement climatique. En invitant des artistes à bord pour témoigner, puis dans un second temps pour exposer, Agnès b. et l'équipe de Tara Expédition font le pari de toucher un autre public, d'une manière différente. (J'ai embarqué en 2016 entre l'île de Pâques et Papeete, pour la mission Tara Pacific, sur le blanchissement du corail).​​
YAR : Comment définirais-tu ton travail ?
Je parlais justement de "strates" tout à l'heure, et c'est ainsi que j'aime voir les choses. Formellement, il s'agit de volumes et de dessins : beaucoup de céramiques, des formes découpées, des lignes. Dans une première strate, il y a cet attrait pour les lieux inexplorés, les récits des découvertes et des expéditions, jusqu'aux documentaires actuels. Dans mon travail, l'on repère bien l'importance de l'océan, des abysses et autres créatures marines. J'y puise beaucoup de formes et inspirations, mais il y a aussi les îles lointaines, les hauts sommets, les jungles impénétrables ou encore les pôles glacés qui me stimulent et agitent ma curiosité. En seconde "strate", il y a la fragmentation, le découpage des éléments. Cela évoque autant la dissection, cette envie d'aller voir ce qu'il y a à l'intérieur des choses, que la nourriture, et comment l'humain s'alimente. Je m'intéresse autant aux chaluts de pêche qu'à l'anthropologie. Cela peut sembler être un grand écart et pourtant, je trouve que tout est lié. Il s'agit du monde qui nous entoure, que j'essaie de décrire à ma manière, avec de l'humour, parfois noir, et aussi de la tendresse, de la légèreté.
YAR : Peux-tu m'expliquer l'oeuvre Pinnules, créée lors de ta résidence à l'Institut Magrez ?
Pinnules est composé de quatre pièces en céramique émaillée. On devine des formes géométriques, quatre quartiers rouges très brillants, identiques. Ces formes font écho à une vidéo filmée dans le marché de Tsukji, à Tokyo, dans laquelle on voit de grandes formes glacées être découpées à la scie à ruban, sur des tables en inox. Il s'agit d'énormes thons congelés en mer, sans queue ni tête. (Car à bord de ces navires usines qui traversent les océans, l'on ne s'encombre pas de parties non comestibles, aussitôt rejetées en mer.)
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Pinnules, 2014 - céramique, métal, bois, (2x) 150x200x75cm
Les thons deviennent alors des formes géométriques, sortes d'obus, que l'on identifie à peine. C'était fascinant, ces formes rigides qui au fur et à mesure de la découpe, se multiplient. Les gestes précis des Japonais me rappellent mes propres gestes de découpe de la terre à l'atelier. Je travaille souvent dans un aller retour entre projets en deux dimensions, et ceux en trois dimensions.
Après le projet de la vidéo, j'avais envie de créer mes propres quartiers rougeoyants, où l'animal s'efface pour laisser place à de séduisantes formes abstraites. La cuisine japonaise est le parfait exemple de cette esthétisation extrême des corps animaux. Et l'oeuvre Pinnules est le résultat de ce processus.
"Je m'intéresse autant aux chaluts de pêche qu'à l'anthropologie. Cela peut sembler être un grand écart et pourtant, je trouve que tout est lié. Il s'agit du monde qui nous entoure, que j'essaie de décrire à ma manière, avec de l'humour, parfois noir, et aussi de la tendresse, de la légèreté."
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Triplekit, 2016-18 - céramique, néoprène, caoutchouc, rivet et métal, dimensions variables
​YAR : Y a-t-il une oeuvre dont tu souhaiterais parler ?
J'ai continué cette année une série débutée en 2016, il s'agit de Triplekit. C'est une collection de pièces en céramique avec des détails en caoutchouc, néoprène et autres petites parties métalliques. En partant de ce rêve de pouvoir respirer sous l'eau, j'ai créé des branchies portatives, lunettes-yeux de poissons, des palmes nageoires et autres objets propices à la métamorphose. Certaines pièces flirtent avec l'idée du design, du fonctionnel tout en étant absurdes. Evidemment, une paire de palmes de ce type et vous coulez aussitôt ! Les pièces sont présentées sagement alignées, organisées... cela évoque le ​​magasin, une sorte de boutique poétique. 
Mais il y a aussi en seconde lecture, l'évocation de la pêche illégale des ailerons. Sauvagement découpés, nombreux requins et raies sont rejetés en mer encore vivants, et coulent déaileronnés vers leur mort certaine. Cela alimente une économie absurde où des croyances thérapeutiques priment sur des êtres vivants.

YAR : Quels sont les artistes contemporains qui t'inspirent ?
En voici quelques uns : Quentin Blake, Johan Creten, Bill Viola, Nick Cave, François Schuiten, Kristin Mc Kirdy, Jockum Nordström...
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​YAR : Quels sont tes prochains projets ?
Je finis actuellement une résidence à Brooklyn au Invisible Dog art center. À mon retour, je suis invitée sur un navire dans le grand nord norvégien en novembre. Ça sera l'occasion de continuer les carnets de dessin que je tiens en voyage et qui me nourrissent tant.​​ Puis retour à l'atelier pour décanter ces derniers voyages et préparer plusieurs expo, dont celle de Tara Expédition. 
Début 2019, je suis en résidence de production à l'école d'art de Beauvais, où j'aurai les mains dans la terre pour 3 mois, j'ai hâte.
YAR : Un conseil culture ?
Un livre qui m'a marquée récemment, c'est Petit Pays de Gael Faye. C'est très beau, fort et résonne particulièrement avec l'actualité. Cela fait deux mois que je ne suis pas en France, donc pour une exposition récente, difficile ! Avant de partir, j'ai vu au Musée Guimet celle sur les cartes asiatiques, magnifique ! Et comme tous, je regrette que la Maison Rouge ferme. J'y ai vu tellement d'expositions et collections qui m'ont marqué...

YAR : Un conseil pour les jeunes artistes ?
Rester soi-même, être curieux, énergique, suivre son intuition. Garder le cap et prendre des risques.
Interview mené par Livia Perrier

​Quelques liens

https://elsaguillaume.com/
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Prix Coal

Crédit photo
Portrait : Géraldine Guillaume

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