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François Réau

12/10/2018

 
Young Art Review - François Réau
Vue d'atelier
Arrivée à la Gare de Pantin, je retrouve François Réau pour visiter son atelier, installé au milieu de grands entrepôts de stockage. Y traînent par-ci par-là, quelques matières de Tatiana Trouvé... Nous grimpons d'un étage et François ouvre les portes de son studio. Immersion totale dans ses espaces, ses paysages fantasmés, imaginés, dessinés mais aussi présents : des branches et des clématites​ jonchent le sol de l'atelier. La lumière est sublime, elle surgit dans son atelier et perce dans ses œuvres cette nature omniprésente. 
Né en 1978 à Niort, François Réau est un artiste pluridisciplinaire. Il travaille le dessin et l'installation. Son œuvre évoque la nature, au cœur des matériaux, et soulève des questions sur l'apparition et de la disparition de la figure et des motifs. François Réau puise son inspiration dans l'expérience du paysage.

​​Rencontre.
Quel a été ton parcours d'artiste ? Comment es-tu venu à l'art ?
J’ai une double formation, la première à l’Ecole Régionale des Beaux-Arts de Poitiers puis dans un second temps à l'Ecole d’Arts Appliqués de Poitiers. Par la suite je suis arrivé à Paris où j'ai commencé à montrer mon travail plutôt dans un cadre privé puis après quelques années j'ai commencé à exposer mon travail dans divers lieux. 
Young Art Review - François Réau
François dans son atelier
"Je peux partir dans une rêverie en travaillant à l'atelier, j’essaie d’emmener le spectateur dans cet espace-là et dans des espaces intermédiaires, de faire en sorte qu'il n'y ait pas de frontières ou du moins qu'elles soient indécises. On est à l’intérieur de quelque chose qui n'est pas clairement défini, comme dans un rêve."
Mon intérêt pour l'art a été assez évident et direct, il est venu très tôt dans la mesure où j’ai été au musée lorsque j'étais enfant, ce dès le plus jeune âge. J’ai eu la chance de voir beaucoup de choses très différentes dans des expositions à Paris ou en province. Et puis depuis cet âge je n’ai jamais cessé de dessiner en définitive. 

Te souviens-tu de ta première oeuvre ?
J'ai réalisé des choses très tôt, et lorsque j'étais adolescent des dispositifs plastiques en quelque sorte mais sans en avoir réellement conscience. Lorsque j'étais enfant j'ai passé beaucoup de temps en Aveyron et je crois que j’ai développé de cette façon un certain rapport à la nature, aux éléments, aux cycles du temps et de l'espace, au cosmos en définitif - qui sont en jeu aujourd'hui dans mon travail.
Photo
Ne fais nul cas des rayons de miel, 2017 - Vue d’exposition, Les Quinconces-L’espal, Scène nationale, Le Mans, France
La nature est très présente dans ton travail. Elle est partout et sous toutes les formes (dessinée, esquissée, matériaux bruts). La question écologique ou du développement durable fait-elle partie de ton travail ? 
Disons que c’est difficile d’éviter ces questions autour de ces problématiques-là aujourd'hui, surtout lorsqu’on est artiste et à l’écoute du monde qui nous entoure.
Ce n’est pas mon moteur principal de recherche ou d'expression, mais ce sont des choses qui m’intéressent, que je regarde, qui me traversent forcément et qui peuvent me nourrir dans ma pratique. Après, je ne détermine pas le choix de mes pièces et leur élaboration par rapport à cela et comme une thématique en soi.
Comment définirais-tu ton travail ? A-t-il une dimension politique ou bien est-il de l'ordre du sensible ?
Définir son travail est une vaste question... mais je dirais que mon travail s'articule autour du dessin et l'installation. Je cherche à soulever le principe de l’apparition et de la disparition des motifs au cœur des matériaux. Mon travail se nourrit de questionnements contemporains mais aussi en lien à l'histoire et à des questionnements plus personnels évidement, les deux sont liés. Cela peut prendre différentes formes avec des dispositifs fictionnels ou narratifs dans lesquels j'essaie de questionner aussi ce qu'est le dessin contemporain : comment pousser les limites de ce médium ?
J'y apporte 2 types de réponses :
- en créant des dispositifs immersifs de grandes dimensions (de presque 3m de haut par 4m) qui engagent le corps du spectateur.
- en utilisant d’autres moyens qui rappellent ceux du dessin et qui ont attrait à la ligne, au trait ou à la trace et tout ce qui rappelle le dessin. Cela m’a amené à travailler avec de la corde, du fil dans l’espace, de la cire, du fil de soie. Un travail d’ombre et de lumière me permet aussi de dessiner dans l’espace en utilisant le blanc des murs qui s’apparente au blanc de la feuille de papier. Tout cela offre alors au dessin la possibilité d'être un espace et un temps d'expérience de pensée visuelle.
Pour la dimension politique je dirais que tout est politique. Finalement, mon travail peut avoir cette dimension. Tout dépend aussi sous quel angle on l'aborde. Mais ce n'est pas à moi je pense de définir s’il porte cette dimension. 
Quels sont ces espaces que tu crées ? Sont-ils imaginaires ou géographiques et réels ? D'où puises-tu ton inspiration ?
C'est une question que le public me pose souvent. C’est un peu la question de la fabrique des images ou comment une idée peut venir et prendre forme. Il y a quelque chose au départ qui peut démarrer d’une rêverie ou plus simplement d'une envie. C’est difficile à expliquer. J'aime que, dans mon travail, il puisse y avoir quelque chose qui se situe dans un entre deux : entre fascination, possibilité et inquiétude ; et dans lequel se mêlent archaïsme et contemporanéité qui se constituent d'espaces imaginaires, d’espaces rêvés et d'espaces réels. Au même titre que je peux partir dans une rêverie en travaillant à l'atelier, j’essaie d’emmener le spectateur dans cet espace-là et dans des espaces intermédiaires, de faire en sorte qu'il n'y ait pas de frontières ou du moins qu'elles soient indécises. On est à l’intérieur de quelque chose qui n'est pas clairement défini, comme dans un rêve.

​Quel est ton processus créatif ?
J'ai différentes façons de travailler, cela dépend du contexte et des projets. C'est empirique mais aussi très organisé et documenté à la fois. Lors d'une résidence, par exemple, pour celle que j’ai réalisé au Musée Saint Roch de Issoudun cette année, j'ai été amené à travailler sur et avec les œuvres, à me documenter, à échanger avec le conservateur. Je m'imprègne avant de pouvoir proposer un dispositif en prêtant attention à ne pas être trop littéral ou documentaire.
Et parfois j'ai besoin d’être dans le concret, de mettre en jeu le corps et l'espace c'est pourquoi dans certains cas je travaille directement sans carnets de croquis ou préparatifs. Parfois, je laisse une pièce plusieurs mois ou plusieurs années en jachère, au repos avant de retravailler dessus. Je fais attention également à l’intuition dans et au travail.
Photo
Eclipse, 2016-18 - Mine de plomb et graphite sur papier, Bois, clématites sauvages et miroirs - 210 x 228 cm - Vue d’exposition, Galerie Virginie Louvet, Paris
​Pourquoi le noir et blanc ?
En vérité, il ne s'agit pas vraiment de noir et blanc, selon moi, mais plutôt de nuances de gris. Je travaille à la mine de plomb et à la graphite. Ce qui a un pouvoir d’évocation beaucoup plus fort que la couleur d'après moi. Mais c'est aussi par soucis d'économie de moyen et pour permettre une plus grande liberté d'interprétation. Ce qui m’intéresse aussi avec la mine graphite, c’est sa brillance. En fonction de l’éclairage, du positionnement, d’où l'on se trouve par rapport à la lumière, l'œuvre est différente... et elle va renvoyer de la lumière, c’est le principe de la lumière transmutée. Il m'arrive aussi d'introduire de la couleur dans mon travail mais c'est avec de la lumière et précisément avec le néon. La lumière se définit aussi pour moi comme sa capacité à habiter l'espace et l'infini. 
Young Art Review - François Réau
Drawing machine, peformance, 2017 - Carte géographique, bois, vis, miroirs, sangles, balle et 18 crayons. 31 x 31 x 31 cm. - Bamarang Nature Reserve, Nouvelle-Galles du Sud, Australie
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François Réau, Machine to draw space and time (detail)
​Peux-tu me raconter ta résidence en Australie ?
Cette résidence a été possible grâce au soutien des Services Culturels de l’Ambassade de France en Australie. Elle a lieu une fois par an pour un artiste français, à Bundanon au sud de Sydney dans une réserve naturelle et dure 6 semaines.
Dans ma note d'intention, j’avais proposé de travailler sur des questions liées à l’espace du paysage et à ces mouvements qui sont aussi liées au temps mais en les axant sur des problématiques de dessin contemporain. J’ai réalisé un très grand dessin immersif mais aussi un dispositif de dessin plus prospectif : une machine à dessiner l’espace et le temps.
Celle-ci est déterminée par le lieu où elle est faite pour fonctionner : il s'agit d'un cube dans lequel je positionne la carte du lieu où je me trouve (sur les 6 faces intérieures) - en l’occurrence dans la Bamarang Natural Reserve. Un premier dessin est intentionnel comme le fil rouge de cette histoire - tracé en rouge -, il correspond au chemin que j’ai parcouru dans cet espace naturel.
Puis juste avant de partir et de réaliser cette traversée, je mets à l’intérieur de la caisse une drawing machine : c'est-à-dire une balle piquée d’une vingtaine de crayons qui roule sur elle-même durant le déplacement que je vais effectuer dans le paysage. Cette machine ramène les vibrations du monde à l’échelle d’un tracé, c’est un peu comme un système d’enregistrement, une captation qui permet de dessiner mes vibrations en fonction de mes mouvements dans cet espace du paysage. Ce dessin est non-intentionnel : je ne tiens pas de crayon et ce sont les mouvements de mon corps qui dessinent grâce à cette balle et ces crayons sur la carte.
​Cette boite est recouverte à l’extérieur par six miroirs. Le miroir c'est l'absence, c’est le degré zéro de la peinture, le degré zéro du dessin et j’aime beaucoup ici que l’absence soit convoquée pour parler d’un espace car cela permet d’y projeter des choses de l’ordre du désir. Comme un espace de projection. Lorsque je réalisais cette performance de dessin, c’était amusant de voir les gens m’arrêter et me demander ce que je portais dans le dos. Je leur expliquais que la réponse était devant eux d'une certaine façon : ce qu’il y a dans le cube c'est quelque chose de plus grand que nous et qui fait référence à l'espace, dans la mesure où l'espace est la projection du rêve intérieur.
​Peux-tu m'expliquer l'oeuvre proposée au concours Bernard Magrez ?
Il s’agit d’un dispositif plastique créé in situ et qui se compose de plusieurs milliers de cierges en cire blanche et d’un tube néon. Cette pièce a été réalisée initialement dans le cadre de Lille 3000 dans le Musée du Flers à Villeneuve d’Asc. La thématique était Renaissance, comme période historique mais aussi pour ce qu'elle suggère de renouveau et de symbolique. J’ai choisi ce dernier axe.
À l'intérieur de l’espace d'exposition du musée se trouvaient deux alcôves en briques rouges pas très hautes et qui étaient pour moi comme deux poumons, de cœurs. J’ai eu envie de créer quelque chose qui fasse référence aux battements du cœur et à cette idée du dessin de l'électrocardiogramme, comme une onde une vague en volume. Pour suggérer cette idée de renaissance, un travail sur le mélange présence/absence. L’art a aussi cette capacité lorsque l'on est devant une proposition plastique de faire se retrouver les deux en même temps et de faire advenir de la présence dans une absence. Je souhaitais donc raconter cette idée d’apparition et de disparition comme un battement de cœur. On se perd et se retrouve quelque part au même instant. 
Young Art Review - François Réau
Renaissance, 2015 - Cierges en cire blanche, néon - lille3000, Renaissance. Vue d’exposition Musée de Flers, Villeneuve-d’Ascq
Young Art Review - François Réau
Eclipse - Vue d'atelier
​Y a-t-il une œuvre dont tu souhaiterais parler ?
Eclipse est un travail à la mine de plomb et graphite sur papier que j’ai présenté dans un dispositif plastique spécifique en début d'année 2018 à la galerie Virginie Louvet.
​Ce qui m’intéressait surtout autour de ce sujet, c'est le phénomène d'apparition et de disparition. Ce grand dessin était exposé avec des clématites sauvages et un ensemble de miroirs de forme arrondie. Ces derniers reprenaient la forme du soleil et de l’éclipse totale présente dans le dessin. Ils étaient présentés au sol et décalés, dans un ordre qui reprend les nombres de la suite de Fibonacci. C'était une façon de réintroduire quelque chose qui n’est pas de l’ordre de l’invention humaine mais qui est un calcul mathématique que l’on retrouve dans la nature : le nombre parfait. ​​L'œuvre parle aussi du paysage, du cosmos et de l'influence que cela peut avoir sur nous. Elle renvoie aussi à des notions liées au temps et à l'espace.
Dans ce dessin, j'ai laissé des poches blanches pour créer des respirations. Cela permet au regardeur de projeter des choses qui sont liées à son histoire ou celle qu’il voudra y projeter. J'avais appelé cette exposition « À toute surface, on rêve de profondeur » : le miroir était là pour rappeler aussi comment dans un espace on peut avoir envie de passer de l’autre côté du miroir et à vouloir aller plus loin ou au-delà (en référence à Lewis Caroll) et de tomber dans un imaginaire, fantastique, réel ou fictionnel.

Où est-ce que tu te situes dans la question du beau ?
Je ne fais pas une œuvre pour qu’elle soit belle ni esthétique. Ce n’est pas quelque chose que je cherche mais c’est une notion intéressante dans la mesure où elle peut être un ressort pour essayer de réenchanter une histoire. La pièce que je présente peut devenir l'instrument d'une métaphore poétique pouvant offrir au regard un potentiel réenchantement. En définitive, c’est encore une histoire de regard, il peut y avoir de la beauté partout : mon atelier se situe sur un site industriel et je regarde ce qui est abandonné, laissé au rebus, ce sont des choses que je trouve très belles car il peut y avoir dessus de la rouille, quelque chose qui parle du temps et de l'histoire. Je peux utiliser des choses qui peuvent paraître désuètes et réfléchir à comment transformer les choses pour les révéler et tenter de les sublimer.
Quels sont les artistes contemporains qui t'inspirent ?
Il y en a beaucoup... Les artistes de l’Arte Povera, du  Land Art et après je regarde beaucoup des peintres, Anselm Kiefer, Cy Twombly, David Hockney, Hantaï... pour n’en citer que quelques uns. Il y en a tellement.

Quels sont tes prochains projets ?
Ils sont nombreux. 
Dans un premier temps, en décembre de cette année, la publication d’un ouvrage dirigé par Agnès Callu sur le projet DDD (Dessein Dessin Design) et qui traite de la fabrique médiatique des images où y figure notamment un texte sur la pièce que j’ai réalisé en Australie fin 2017 lors de ma résidence. 
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Vue d'atelier
​En février prochain, je participe à une exposition collective, Mapping at last, The plausible island, curatée par Léo Marin à l'Espace Topographie de l’Art à Paris. En mars, je présente mon travail dans une exposition personnelle à la H Gallery Paris. Puis, je serai sur le stand de ma galerie, la H Gallery pour Art Paris 2019. Enfin, je participe dès avril prochain à une résidence sur un bateau, le Endeavour. Pour une traversée en mer de Corail au départ de Sydney pour rejoindre Nouméa et la Nouvelle Calédonie. Cette résidence est possible grâce aux services Culturels de l’ambassade de France et le soutien du Musée Maritime de Sydney.
En mai, je serai présent au Musée St Roch à Issoudun dans une exposition personnelle qui s'intitule La nuit s’enfuit avecques ses douleurs. Puis de nouveau dans une exposition personnelle du côté de Lille avec Die Brucke. Et à l'automne enfin dans un grand projet dont le commissariat général est assuré par le Frac PACA, au Musée Mac Arteum à Châteauneuf le Rouge près de Aix en Provence, sur une proposition de Christiane Courbon. 

Un conseil pour les jeunes artistes ?
Suivre son propre chemin, écouter son intuition.
Interview mené par Livia Perrier.

Crédits photo : 

Atelier : Livia Perrier
Drawing machine : Mayu Kanamori

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