YOUNG ART REVIEW
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Nilbar Güreş

10/22/2018

 
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young art review-Nilbar Gures
Il y a un mois se tenait la foire Contemporary Istanbul, dans laquelle était exposée Nilbar Güres, au stand de la new yorkaise C24 Gallery.
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Nilbar Güres est une artiste turque, née en 1977 à Istanbul. Elle a tout d'abord étudié l'art à Istanbul puis à Vienne, où elle obtient un MA à l'Academy of Fine Arts. Elle s'est ensuite installée à New York en 2011. Aujourd'hui, elle vit entre Vienne et Istanbul.
À travers une oeuvre plurielle - vidéos, photographies, installations, collages -, elle questionne la construction du genre dans les cultures patriarcales. Elle utilise ses propres expériences pour montrer ce qui est dissimulé et pour pointer les contradictions des traditions trop rigides.

​​Rencontre.
"Dans mes projets, je me concentre principalement sur le genre, l'identité, l'activisme LGBTQAI, sa politique, son histoire, ainsi que sur les droits des minorités, les changements environnementaux, les questions d’immigration et de relations humaines."
YAR : Quel a été votre parcours d'artiste ? Comment vous êtes-vous intéressée à l'art ?
Je me rappelle, même quand j'avais 3 ans, j'avais l'habitude d'écouter de la musique classique et j'essayais de faire de la danse classique. J'étais douée pour la musique mais mes parents n’y ont pas assez prêté attention pour me permettre de l’étudier jeune. Quand j'ai eu 15 ans, j'ai gagné un petit concours local pour l'une de mes peintures, créée en hommage à Ataturk pour la Journée Nationale des Enseignants de Turquie.
Quelques années plus tard, j'ai réussi l'examen universitaire en Design Industriel et en Peinture à l'Académie des Beaux-Arts Mimar Sinan. J'ai commencé par étudier le design, mais j’ai abandonné car le cursus manquait de liberté et de quelque chose 
d'artistique. Je me suis donc réorientée vers l'étude de la peinture à Marmara University.
​Ma mémoire visuelle s'est développée lorsque j'étais enfant, en observant constamment les choses autour de moi : les objets, les meubles, puis je changeais leur forme en d’autres comme des formes animales, des figures d'enfants ou encore des portraits humains. J'étais une outsider : jouer avec d'autres enfants n'avait aucun sens pour moi. Je préférais rêver seule - j'étais probablement difficile à comprendre et à gérer pour mes parents !  

YAR : Comment les questions féministes sont entrées en résonance avec votre travail ? Cette question a-t-elle toujours été sous-jacente dans votre travail ?
Je suis une personne sensible et vulnérable mais aussi critique. Bien-sûr, quand j'étais plus jeune, je ne savais pas ce qu'était le féminisme. Mais, en observant certaines choses tout au long de mon parcours scolaire, j'ai commencé à remarquer des différences dans la manière dont les garçons et les filles étaient traitées. Nos professeurs nous séparaient par sexe et j'ai vu à quel point certaines choses étaient acceptables pour les garçons et pas pour les filles. Aujourd'hui, nous savons que cela s'appelle du sexisme. Des étudiantes ont été blessées ou agressées verbalement ou sexuellement par des étudiants et c'était accepté, c'était "normal". 
L'injustice est un sujet important dans mon travail, je ne peux pas nier l'idée de classe et de discrimination fondée sur le sexe entre les êtres vivants. Naturellement, j'ai commencé à en prendre conscience et à me protéger dans les domaines où je pouvais être blessée ou maltraitée dans mon environnement féminin. Maintenant, je sais que c'était du féminisme !
Ma perception du monde n'a pas changé, elle est seulement devenue plus forte. Ces sentiments sont toujours vivants en moi et j'ai un outil pour les exprimer : l'art.​
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Self defloration, 2016, collage sur tissus
YAR : Quelle a été votre première oeuvre féministe ?
Mon tout premier travail féministe est sans contexte l'une de mes toutes premières œuvres, Self defloration (2006). Il s'agit d'un collage sur tissu qui représente la défloration d'une femme par elle-même.

YAR : Comment définiriez-vous votre travail ?
Je suis une artiste plasticienne. Dans mes projets, je me concentre principalement sur le genre, l'identité, l'activisme LGBTQAI, sa politique, son histoire, ainsi que sur les droits des minorités, les changements environnementaux, les questions d’immigration et de relations humaines. L'humour est également important dans mes œuvres car il génère de l'espoir.
Je travaille avec divers médias : peinture, photographie, vidéo, ​​performance, sculpture ou encore installations.
Je suis aussi particulièrement attachée aux tissus et aux notions de temps et d'espace qu'il est en mesure de fournir de l'histoire. Je peins parfois sur des tissus ou je les utilise pour recouvrir mes sculptures, car ils peuvent aussi créer des corps. Le tissu transcende le temps et permet de comprendre et d'être en relation avec d'autres périodes. La mode est toujours inspirée par les changements globaux, historiques et politiques, qui la rendent d'autant plus intéressante.
​YAR : Que souhaitez-vous exprimer dans vos œuvres ?
J'essaie de parler des nombreuses injustices. Je critique les systèmes de classes, de règles élaborées par les hommes, de règles artificielles et inhumaines sur le corps définies par des politiques conservatrices. 
Parfois, les artistes peuvent fonctionner comme les journaux : certains problèmes ne sont pas connus du public, puis les artistes en parlent à travers leurs productions et interpellent les gens. Alors, des sujets locaux peuvent devenir mondiaux...
Je crois fermement en la force des arts visuels, en particulier dans les espaces publics. C'est pour cela que je demande souvent aux conservateurs d'exposer mes œuvres dans des vitrines ou sur des panneaux d'affichage.
Parfois, les gens n'ont pas le temps d'écouter les réalités d'une autre personne ou ne le souhaitent pas. Dans de telles situations, nous pouvons montrer des images et le message peut être facilement digéré sans aucune pression personnelle. Les arts visuels sont une excellente forme de communication. C'est imposant. Ils peuvent transmettre instantanément contrairement à un langage.
"Je crois fermement en la force des arts visuels, en particulier dans les espaces publics. C'est pour cela que je demande souvent aux conservateurs d'exposer mes œuvres dans des vitrines ou sur des panneaux d'affichage."
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Escaping Cactus, 2014
​YAR : Pouvez-vous m'expliquer l'oeuvre Escaping cactus ?
C'est une histoire très amusante. Je pense que c'était en 2012, je promenais à New York, dans les environs de Chelsea, et, devant un magasin j'ai remarqué un pot de cactus qui était attaché avec une chaîne à la porte d'un magasin, certainement afin d'éviter le vol du pot. 
Les plantes vont grossir et grandir si nous les libérons et les plantons dans la nature, mais les petites plantes sont petites parce que nous voulons qu'elles s'intègrent dans nos petits espaces de vie.
Ce n'est à mon avis pas une bonne idée d'intégrer des choses ​​sauvages dans nos vies, elles ne donnent pas ​pour autant la 
possibilité de créer un vaste horizon pour les humains. Un territoire ou un sentiment sont libres de changer de propriétaire, les objets matériels sont voués à disparaître... Nous devrions partager notre argent, donner nos vêtements. Les êtres humains devraient même partager leurs conditions de vie, bonnes ou mauvaises, et comme tous les autres animaux, pratiquer le vivre ensemble.
​YAR : Y a-t-il une oeuvre dont vous souhaiteriez parler ?
J’aimerais parler d’une œuvre récente, intitulée TORN (2018, installation photo-vidéo). Elle a été inspirée par l'histoire de mon amie Didem Görkem Gecit, que j’ai rencontrée pour la première fois il y a quelques années lors du défilé trans d’Istanbul. 
À cette époque, il venait d’arriver d’Izmir pour participer aux manifestations du Gezi Parki. Il voulait commencer une nouvelle vie à Istanbul et essayait de faire tous les jobs pour lequel il était embauché : caissier de supermarché, dans la construction… Malheureusement, lors de chacune de ses expériences professionnelles, il a subi du harcèlement sexuel. Il était très difficile pour lui de changer de travail, puisqu'il était systématiquement harcelé. Il a alors décidé d'arrêter de chercher un petit boulot, a subi une opération d'implantation mammaire et est devenu un professionnel du sexe à Istanbul.
Une nuit, quelques mois plus tard, trois hommes l'ont violée et kidnappée. Ils lui ont tranché le cou. Didem était presque morte. Plus tard, également dans son quartier, elle a subi du chantage de la part d'autres travailleuses du sexe trans qui ne souhaitaient pas partager leur territoire de travail. La vie de mon amie Didem à Istanbul est devenue très difficile et l'année dernière elle est retournée à Izmir. 
Quatre ans plus tard, il y a quelques mois, j'ai réalisé ce projet photo et vidéo avec elle. Elle se tient devant un tissu accroché à un fil de linge, regardant le public dans les yeux, en même temps qu'un son désagréable provient de la vidéo. On voit également sa cicatrice dans la vidéo, la coupure, qui représente la violence qu'elle a subie... À la fin de la vidéo, elle sort du champ de la caméra et le public remarque un trou coupé au milieu d'un vieux tissu. Faire en sorte que l'on se sente "autre" est un acte qui ne fait que combler le vide émotionnel de notre propre physiologie.
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Torn, 2018, installation photo et vidéo
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Overhead from the series TrabZONE, 2010, photo
​YAR : Quels sont vos prochains projets ?
Pour un artiste, il est très difficile de vivre de son art et de réaliser ses projets sans aucune distraction. J’ai toujours rassemblé des idées et des projets à réaliser, mais il y a d’autres projets qui surgissent dans ma vie. Certaines invitations à des expositions importantes, des projets internationaux pour des biennales sont difficiles à refuser car cruciaux pour la carrière d’un artiste…
En 2018, j’ai réalisé de nombreuses œuvres pour différents projets. Il est maintenant temps pour moi de revenir à un projet sur lequel je travaille depuis 2011 ! En ce moment, je recherche les bonnes personnes avec qui collaborer.
Étant introvertie, j’ai besoin de temps, de silence et de solitude dans mon studio pour clarifier mes idées. C’est l’un des inconvénients de travailler avec différentes techniques. Pour moi, il serait tellement plus simple d’être une artiste de studio, mais je ne le suis pas !
En mai 2019, ma première exposition à Chelsea sera inaugurée à la C24 Gallery. Cette même année, je serai aussi probablement en résidence pour travailler sur de nouveaux projets vidéo et photo et également sur des collages de tissu et de papier.

​​YAR : Quels sont les artistes contemporains qui vous inspirent ?
Je suis principalement inspirée par les problèmes des vivants, des choses que je peux voir de mes propres yeux et dont je peux témoigner. Les choses que je ne peux pas voir, les endroits où je ne peux pas me rendre ne m’inspirent généralement pas. Il m’est difficile de penser à un lieu ou à une histoire dont je n’ai pas fait l’expérience personnellement. Les femmes m’inspirent beaucoup. 
​Heureusement, j’ai autour de moi beaucoup de femmes fortes. Je reçois des tissus d’amis, parfois de la part d'amis de ma mère, et ces tissus m’inspirent beaucoup… Parfois ils sont très vieux, pleins de souvenirs…
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YAR : Un conseil pour de jeunes artistes ?
Ils ne devraient pas suivre trop d’autres artistes. Passer du temps dans leur monde individuel est très important pour connaitre leur propre chemin. 
Interview mené par Livia Perrier
​Traduction : Juliette Sussan

Quelques liens
http://www.contemporaryistanbul.com/
https://tanjawagner.com/artists/nilbar-gures/
http://www.c24gallery.com/artists/#/nilbar-gures/
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Crédits photo
Self defloration : Chroma
Torn : Nilbar Gures

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