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Nù Barreto

11/12/2018

 
Young Art Review - Nu Barreto
In city, 2018 - crayon céramique rouge sur papier - 85 x 115,5 x 4 cm
Young Art Review - Nu Barreto
​Né en 1966 à Sao Domingos en Guinée-Bissau, Nù Barreto est un artiste pluridisciplinaire et engagé, figure majeure de la scène contemporaine africaine. Il crée des peintures, des dessins, des collages, des photographies ou encore des vidéos qui nous parlent des différentes étapes de l'histoire africaine et de la désunion des peuples africains.
À l'aide de l'utilisation de couleurs, de motifs et de formes symboliques, il attire le regard sur les nombreux fléaux sévissant sur le continent africain : la misère, les discriminations, les coups d'état du 20ème siècle, les génocides, les guerres fratricides... Son message est aussi un message d'espoir. En effet, il souligne dans ses oeuvres la richesse intellectuelle et culturelle de l'Afrique. Son travail sur l'histoire et l'actualité se développe ainsi dans une esthétique singulière.
Il est exposé jusqu'au 29 décembre à la Galerie Nathalie Obadia et c'est à cette occasion que j'ai pu échanger avec lui.
"Je m’identifie comme étant un artiste engagé. J’aborde tous les sujets qui dérangent la société pour qu’elle les voie et qu’elle pense à les régler."
​YAR : Quel est votre parcours ? Comment a été votre enfance ? D’où venez-vous ? Quand avez-vous commencé à vous intéresser à l'art ?
Je suis originaire de la Guinée-Bissau, petit pays coincé entre la Guinée française et le Sénégal. Je suis né là-bas. Je viens d’une famille où le dessin n’est pas quelque chose d’inconnu. Mon frère, mon père et ma mère ont dessiné. C'est certainement d'eux que j'ai pu attraper le virus ! Dès tout petit, j'en ai fait ma passion : pour éviter de faire certaines choses - comme aller faire les courses - je passais mon temps à dessiner !
Je ne sais pas si ma mère avait compris ce que serait le dessin pour moi ou si c'était pas sécurité de m'avoir près d'elle - ainsi, je ne pouvais pas faire de bêtise avec mes amis -, mais elle m'a encouragée dans cette direction. J’ai continué à dessiner en grandissant. C’est resté constamment un opium qui me fait courir de gauche à droite pour découvrir des dessinateurs.
​​Puis, j'ai eu une période chaotique dans ma vie car j'ai perdu mon seul frère... J'ai fait un break de l'art. Je ne voulais plus dessiner. Mon oncle qui habitait à Paris a demandé à ma mère que je vienne continuer mes études en France. Il estimait que ce break ne devait pas continuer. Pendant ce laps de temps, j'ai appris la photo avec les moyens du bord et cela a commencé à me passionner. 
En 1989, je suis donc venu en France et j'ai intégré une école de photographie. Je faisais des jobs alimentaires à côté de mes études : parfois assistant de photographe de mode ou bien assistant de photographe dans de la publicité. J'ai ensuite fini mes études et j'ai commencé à faire mes propres travaux photos. C'était un monde très difficile car il était dur de trouver un espace pour m'exprimer et en vivre. Au lieu de chercher autre chose, j'ai décidé de reprendre mes dessins et mes peintures.

Vous rappelez-vous de votre première oeuvre d’art ?
Je m’en rappelle, on s’en souvient ! C’était du dessin à l’école primaire. Je dessinais pour tous les amis de la classe. C’était une curiosité de venir voir le petit qui dessinait. Un de mes amis a gardé un de ces dessins-là qui date de ma petite enfance. C'est vrai que je m’en souviens de quelques uns, qui m'ont marqué.
Comment vous définiriez-vous en tant qu'artiste ?
Je pense qu’il ne faut pas me situer dans une région géographique ni dans un style particulier. Je m’identifie comme étant un artiste engagé. J’aborde tous les sujets qui dérangent la société pour qu’elle les voie et qu’elle pense à les régler.
Je montre un travail assez douloureux. J’utilise le rouge par sa symbolique car la couleur est très forte dans tous les continents. On retrouve constamment ce que j'appelle "cette fonctionnalité" dans mon travail.
Certains comme Monet ont peint des nymphéas, d’autres comme Bacon ou Freud ont peint des personnages en souffrance... Chacun possède son territoire de prédilection... Je me sens bien dans cet engagement : confronter la société à ce qu’elle produit pour qu’on réussisse à être en accord avec nous même. C’est douloureux à voir mais c’est ce que nous faisons.
"Mes dessins sont une lecture de ce que je vois, de ce que les hommes proposent. J'interprète les hommes - qui sont en fait des êtres à humaniser."
Quel est votre processus créatif ?
Chacun procède de façon différente. En ce qui me concerne, je peux débuter à partir d’une esquisse qui me vient. Ensuite, je la développe pour voir jusqu’où cela peut me mener, pour voir dans quel angle il vaut mieux aller pour que je sois mieux compris. Je souhaite être compris facilement. Je cherche à parcourir un chemin court, rapide et compréhensible.
Parfois, certaines problématiques me viennent en tête : c'est ainsi que j’ai commencé une série de dessins au crayon rouge où je mets en avant le déséquilibre social.
Young Art Review - Nu Barreto
Vandalisme coloré, 2018 - Technique mixte sur toile marouflé sur bois - 194 x 131 x 5 cm
​Votre première exposition à la galerie Nathalie Obadia a ouvert à Paris jeudi dernier. Vous y présentez la série Etats Désunis d'Afrique. La peinture initiale, réalisée en 2008, présente un drapeau aux bannières jaunes et rouges affublé d'un rectangle vert et de 53 (puis 54) étoiles, au nombre des états africains. Comment avez-vous fait la sélection des œuvres ? Quel est le message de l'exposition ?
Le projet de cette exposition a commencé en effet en 2008, quand j'ai créé le premier drapeau (qui a été montré en 2010 pour la première fois). J’ai esquissé ce projet dans sa globalité dans mon atelier avant que Nathalie Obadia ne viennent y effectuer une visite. C’était un beau moment et un véritable privilège. Nathalie a vu le projet agrafé et m'a questionné sur l'idée de les présenter en exposition personnelle à la galerie. ​L’idée de fond n’est pas de présenter l’Afrique comme un continent, comme elle l'est habituellement présentée. Je veux montrer que tout le monde est responsable de ce qui lui arrive.
Historiquement, on dit que l’Afrique est le berceau de l’humanité. Dans ce cas-là, elle appartient à tout le monde, pas seulement aux noirs ou seulement aux noirs. De cette idée est venue le nom de l'exposition : "Africa: Renversante, renversée". Il faut lui donner la valeur de considération qu'elle mérite : c'est une priorité pour tous.
Les œuvres créées pour l'exposition sont de grands formats, des structures de contreplaqué avec des toiles marouflés. J'ai effectué tout un travail de menuiserie puis étape par étape, j'ai fini par la peinture.
Dans l'exposition, j'ai aussi ajouté un piège... il s'agit du paillasson de l'entrée : chacun est obligé de passer par là...
Dans l'exposition, une oeuvre est particulièrement marquante, La source. Il s'agit d'une suspension de livres sur un drapeau. Pourriez-vous m'expliquer cette oeuvre ?
Cette exposition comporte 10 pièces dont La source. Sur le drapeau, j'ai suspendu des livres d'auteurs africains - peu importe leur couleur. Pourquoi ce nom La source ? Car l'on sait aujourd'hui que le continent africain est la source du savoir, tout simplement. Par exemple, Tombouctou comportait une université des siècles et des siècles avant que la Sorbonne ne soit créée ! Dans tous les domaines (tels que la musique par exemple), il y avait un éventail de savoir en effervescence.
J'ai créé cette oeuvre pour que les gens sachent, se souviennent.. Il s'agit de révéler, de mettre en évidence : il y a eu des savoirs, il y en a, il y en aura. J'essaie de donner un autre regard, ce qu'il faut avoir envers ce continent pour les choses puissent changer.
C'est ça que raconte l'oeuvre.
Young Art Review - Nu Barreto
La Source, 2018 - acrylique sur toile marouflée sur bois, douilles, livres d’auteurs africains - 200 x 306 cm
Young Art Review - Nu Barreto
Méfiance, 2018 - crayon céramique rouge et collage sur papier - 84,4 x 114,4 x 4 cm
Je trouve vos dessins extrêmement forts et sensibles. Pourriez-vous particulièrement me parler du dessins Méfiance, réalisé en 2018? 
On commence à appeler cette période où j'ai commencé ces dessins "la période rouge". Celle-ci est encore en cours, je suis encore en train de travailler dessus. On remarque dans ces dessins certains symboles : les échelles, les chaises bancales... Les premières évoquent l'ascension sociale et toutes sont incomplètes et en mauvais état.. Les secondes ont avoir avec le pouvoir - celui qui s'assoie garde le pouvoir, il règne sur la place, place qu'il a conquise. Elles sont toutes bancales dans mes dessins.
Mes dessins sont une lecture de ce que je vois, de ce que les hommes proposent. J'interprète les hommes - qui sont en fait des êtres à humaniser.
​Quels sont vos prochains projets ?
Je suis en train de travailler pour un projet dont je ne peux pas encore parler, je peux seulement dire que quelques propositions pour New York qui sont en route. Je vais également être présent sur certaines foires avec la galerie - notamment à Marrakech. Enfin, je vais participer à une exposition collective à Dakar, L'Afrique, c'est chic.

Quels sont les artistes qui vous inspirent ?
Francis Bacon reste évidemment pour moi un artiste qui a su décrire la souffrance humaine dans son travail ; Lucian Freud, De Kooning sont également des pointures ; Paola Rego, une portugaise qui vit à Londres ; l'artiste ghanéen, El Anatsui... Il y en a beaucoup !

Auriez-vous un conseil pour les jeunes artistes ?
Il est important d’avoir un mentor pour pourvoir suivre ses pas. Mais il ne faut jamais être pressé : personne ne peut vous prendre ce qui est à vous.
J’ai eu l’occasion de travailler avec des jeunes : ce qu’il faut comprendre c’est que lorsque vous travaillez avec quelqu’un, même si vous êtes son professeur, c’est un échange. Chacun apprend avec l’autre.
​Il n’y a pas de recette miracle, il faut juste travailler. Savoir se contenter de ce qu'on sait faire, les faire de façon professionnelle. C’est le cap que je garde et j’espère pouvoir transmettre cette philosophie aux plus jeunes qui sont en train d’embrasser cette carrière artistique : travailler et faire ce qu’on peut faire.

Qui est votre mentor ?
Mon grand-frère. J'ai essayé d'apprendre auprès de lui. Cependant, il n'était pas pédagogue et frappait beaucoup. Ma mère nous a demandé de stopper et j'ai fini par lâcher..
Il est resté pour moi quelqu’un qui avait réussi à créer une autre ligne dans son dessin, une ligne que j’aurai aimé avoir. 
Je viens d'un pays où le style prédominant est le réalisme. Augusto Trigo est un précurseur de l'art contemporain, il reste aussi pour moi un mentor - sans que je prenne pour autant cette même direction de l'hyperréalisme.
 Interview mené par Livia Perrier

​Quelques liens

Galerie Nathalie Obadia
Site de l'artiste

Crédits photos
Portrait : Thierry Caron - Agence Divergences Images
Œuvres : Atelier 80 
​Courtesy de l’artiste et de la Galerie Nathalie Obadia, Paris - Bruxelles.

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