Né en 1966 à Sao Domingos en Guinée-Bissau, Nù Barreto est un artiste pluridisciplinaire et engagé, figure majeure de la scène contemporaine africaine. Il crée des peintures, des dessins, des collages, des photographies ou encore des vidéos qui nous parlent des différentes étapes de l'histoire africaine et de la désunion des peuples africains. À l'aide de l'utilisation de couleurs, de motifs et de formes symboliques, il attire le regard sur les nombreux fléaux sévissant sur le continent africain : la misère, les discriminations, les coups d'état du 20ème siècle, les génocides, les guerres fratricides... Son message est aussi un message d'espoir. En effet, il souligne dans ses oeuvres la richesse intellectuelle et culturelle de l'Afrique. Son travail sur l'histoire et l'actualité se développe ainsi dans une esthétique singulière. Il est exposé jusqu'au 29 décembre à la Galerie Nathalie Obadia et c'est à cette occasion que j'ai pu échanger avec lui.
Puis, j'ai eu une période chaotique dans ma vie car j'ai perdu mon seul frère... J'ai fait un break de l'art. Je ne voulais plus dessiner. Mon oncle qui habitait à Paris a demandé à ma mère que je vienne continuer mes études en France. Il estimait que ce break ne devait pas continuer. Pendant ce laps de temps, j'ai appris la photo avec les moyens du bord et cela a commencé à me passionner. En 1989, je suis donc venu en France et j'ai intégré une école de photographie. Je faisais des jobs alimentaires à côté de mes études : parfois assistant de photographe de mode ou bien assistant de photographe dans de la publicité. J'ai ensuite fini mes études et j'ai commencé à faire mes propres travaux photos. C'était un monde très difficile car il était dur de trouver un espace pour m'exprimer et en vivre. Au lieu de chercher autre chose, j'ai décidé de reprendre mes dessins et mes peintures. Vous rappelez-vous de votre première oeuvre d’art ? Je m’en rappelle, on s’en souvient ! C’était du dessin à l’école primaire. Je dessinais pour tous les amis de la classe. C’était une curiosité de venir voir le petit qui dessinait. Un de mes amis a gardé un de ces dessins-là qui date de ma petite enfance. C'est vrai que je m’en souviens de quelques uns, qui m'ont marqué.
Quel est votre processus créatif ? Chacun procède de façon différente. En ce qui me concerne, je peux débuter à partir d’une esquisse qui me vient. Ensuite, je la développe pour voir jusqu’où cela peut me mener, pour voir dans quel angle il vaut mieux aller pour que je sois mieux compris. Je souhaite être compris facilement. Je cherche à parcourir un chemin court, rapide et compréhensible. Parfois, certaines problématiques me viennent en tête : c'est ainsi que j’ai commencé une série de dessins au crayon rouge où je mets en avant le déséquilibre social.
Historiquement, on dit que l’Afrique est le berceau de l’humanité. Dans ce cas-là, elle appartient à tout le monde, pas seulement aux noirs ou seulement aux noirs. De cette idée est venue le nom de l'exposition : "Africa: Renversante, renversée". Il faut lui donner la valeur de considération qu'elle mérite : c'est une priorité pour tous. Les œuvres créées pour l'exposition sont de grands formats, des structures de contreplaqué avec des toiles marouflés. J'ai effectué tout un travail de menuiserie puis étape par étape, j'ai fini par la peinture. Dans l'exposition, j'ai aussi ajouté un piège... il s'agit du paillasson de l'entrée : chacun est obligé de passer par là...
Quels sont vos prochains projets ? Je suis en train de travailler pour un projet dont je ne peux pas encore parler, je peux seulement dire que quelques propositions pour New York qui sont en route. Je vais également être présent sur certaines foires avec la galerie - notamment à Marrakech. Enfin, je vais participer à une exposition collective à Dakar, L'Afrique, c'est chic. Quels sont les artistes qui vous inspirent ? Francis Bacon reste évidemment pour moi un artiste qui a su décrire la souffrance humaine dans son travail ; Lucian Freud, De Kooning sont également des pointures ; Paola Rego, une portugaise qui vit à Londres ; l'artiste ghanéen, El Anatsui... Il y en a beaucoup ! Auriez-vous un conseil pour les jeunes artistes ? Il est important d’avoir un mentor pour pourvoir suivre ses pas. Mais il ne faut jamais être pressé : personne ne peut vous prendre ce qui est à vous. J’ai eu l’occasion de travailler avec des jeunes : ce qu’il faut comprendre c’est que lorsque vous travaillez avec quelqu’un, même si vous êtes son professeur, c’est un échange. Chacun apprend avec l’autre. Il n’y a pas de recette miracle, il faut juste travailler. Savoir se contenter de ce qu'on sait faire, les faire de façon professionnelle. C’est le cap que je garde et j’espère pouvoir transmettre cette philosophie aux plus jeunes qui sont en train d’embrasser cette carrière artistique : travailler et faire ce qu’on peut faire. Qui est votre mentor ? Mon grand-frère. J'ai essayé d'apprendre auprès de lui. Cependant, il n'était pas pédagogue et frappait beaucoup. Ma mère nous a demandé de stopper et j'ai fini par lâcher.. Il est resté pour moi quelqu’un qui avait réussi à créer une autre ligne dans son dessin, une ligne que j’aurai aimé avoir. Je viens d'un pays où le style prédominant est le réalisme. Augusto Trigo est un précurseur de l'art contemporain, il reste aussi pour moi un mentor - sans que je prenne pour autant cette même direction de l'hyperréalisme. Interview mené par Livia Perrier Quelques liens Galerie Nathalie Obadia Site de l'artiste Crédits photos Portrait : Thierry Caron - Agence Divergences Images Œuvres : Atelier 80 Courtesy de l’artiste et de la Galerie Nathalie Obadia, Paris - Bruxelles. La section commentaire est fermée.
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