YOUNG ART REVIEW
  • À PROPOS
  • Artistes
  • Professionnel·le·s
  • NEWSLETTER

Stéphane Corréard, fondateur de Galeristes

11/26/2018

 
Photo
Lancée en 2016, Galeristes est une foire d'un nouveau genre fondée par le critique d'art, commissaire d'exposition et collectionneur Stéphane Corréard. Loin des grosses machines, elle se présente à la fois comme une communauté de collectionneurs, de passionnés et de professionnels de l'art mais aussi comme un salon engagé. Ses ambitions sont de favoriser de véritables rencontres entre galeristes et collectionneurs, de permettre à ces relations de se consolider et d'initier de nouveaux collectionneurs.
Mais avant tout, Galeristes a été pensé pour aider et financer la création contemporaine en participant à l'existence d'un écosystème plus équilibré, au sein duquel amateurs et galeristes jouent un rôle irremplaçable.
RDV du 30 novembre au 2 décembre 2018 au Carreau du Temple !

Rencontre avec son fondateur, Stéphane Corréard.
Photo
"Je me suis dit "je vais créer un événement, qui va être sélectif mais avec d’autres critères que ceux de la FIAC"."
Photo
Comment en es-tu venu à créer Galeristes ?
J’ai l’impression que j’ai toujours fait la même chose, mais sous des formes différentes.
J’ai beaucoup d’attachement pour le milieu de l’art et pour chacun des acteurs qui sont tous importants. J’ai toujours essayé, très basiquement, d’être utile aux artistes, de les promouvoir, de leur donner des moyens de travailler, de les sortir de certaines impasses dans lesquelles ils sont… Et donc, j’ai observé qu’on peut le faire de différentes manières car ils ont besoin de beaucoup de choses.
​J’ai aussi observé ces dernières années que le marché prenait une telle place dans la reconnaissance pour les artistes, que c’est là qu’il faut intervenir. Si on veut vraiment agir à la racine du problème, c’est là qu’il faut travailler. J’ai essayé de le faire dans les ventes aux enchères pendant 7 ans en traitant chaque œuvre en fonction de ce qu’elle était artistiquement et non pas de sa valeur marchande. J’ai eu des plaisirs énormes de pouvoir mettre en avant des artistes oubliés… 
​Et puis, je me suis dit aussi qu’il y avait des clients qui ne vont que dans les salles de vente et qui ne vont pas vers l’art très contemporain, ni dans les galeries. J’ai essayé de mixer un peu les deux mondes, d’ailleurs, j’ai même eu l’idée à un moment de faire une foire dans une maison de vente. J’ai fait aussi des livres gratuits pour tous les clients de l'étude, chez Cornette de Saint Cyr, sur l’art en France en 1960 et 1980 pour lequel j’ai fait intervenir 25 jeunes critiques. J’essayais de faire des choses qui mettaient en avant les artistes dans différents projets. 
À la fin du Salon de Montrouge, j’étais un peu frustré même si c’est bien d’avoir d’autres regards qui prennent la relève. J’avais apprécié cette échelle, j’avais envie de faire quelque chose de cette envergure. Je voyais tous mes copains galeristes qui souffraient parce qu’ils sont en première ligne des évolutions du marché. J’ai voulu dire des choses importantes : il y a une spécificité de notre regard français sur la culture, c’est l’exception culturelle. Les biens culturels ne sont pas des marchandises comme les autres. Notamment, ce ne sont pas les plus chères ou celles qui ont le plus de succès, qui sont les meilleures. Il y a d’autres phénomènes de reconnaissance qu’il faut arriver à amener. C’est vrai pour les artistes comme pour les galeries. Et malheureusement, j’observe que l’art visuel est sans doute le seul domaine de la culture où on n’ait pas trouvé de mécanisme pour faire vivre cette exception culturelle. Par exemple, les 15 films qui sont en compétition officielle du Festival de Cannes ne pèsent rien en terme de marché. Il n’empêche que quand tu as la Palme d’Or, c’est la plus grande reconnaissance mondiale en terme de cinéphilie.
De la même manière, quand j’ai interviewé des écrivains comme Claude Simon qui a eu le Prix Nobel de Littérature, il m’a expliqué qu’avant de recevoir le prix, il vendait 80 livres par an, tous titres confondus. Donc, ça veut dire que tu peux avoir le Prix Nobel de Littérature en vendant 80 livres par an. Donc, là aussi, le regard critique sur la littérature a des formes de reconnaissance extrêmement fortes qui ne sont pas celles du marché.
​Et le Lion d’Or de la Biennale de Venise ?
Le Lion d’Or, c’est un peu différent car il y a une dimension diplomatique. Ce sont les pays qui choisissent… Mais globalement, tout cela se fait dans le marché. Par exemple, il est écrit dans la liste des critères de choix du Pavillon Français, « capacité à mobiliser de l’argent privé ». Donc cela veut dire que tu ne peux techniquement obtenir le Pavillon Français de la Biennale de Venise que si tu es soutenu par une grande galerie… 
Même si effectivement, le second marché notamment des artistes français est tellement pauvre que ce n’est pas le gros marché. Mais à l’échelle française, c’est quand même le gros marché. C’est ou Mennour, ou Perrotin, tu n’auras pas un artiste de chez Michel Rein ou Christophe Gaillard qui va avoir le Pavillon Français, aujourd’hui en tous cas. Je milite très fortement pour que cela change. Mais il faut pour cela qu’il y ait un discours politique ! 
Photo
GALERIE ERIC DUPONT-KUSNIR - Carlos, Sans titre, 2014-2015, acrylique sur deux panneaux de bois, 68 x 50 x 16 cm chaque, - photo J.-F. Rogeboz, © Galerie Eric Dupont, Paris
​C’est ce qu’il y a dans le cinéma ou dans d’autres secteurs (prix unique du livre par exemple). Je suis convaincu que notre destin est de porter cette exception culturelle dans le champ de l’art. Il n’y a aucune raison que l’art soit le seul champ où cela soit absent. C’est cela qui est délétère : ce que l’on peut apporter aux artistes, c’est cette reconnaissance, de leur renvoyer qu’ils sont importants pour nous. Alors, tu n’es pas obligé d’aller jusqu’aux demi-dieux comme moi. Mais en tout cas, leur donner le courage de continuer, quand bien même ils n’ont pas de succès financier ou public. Mais si tu dis à un artiste : « pour moi, tu es au top, tu es au niveau des plus grands », ça lui donne une pêche pour exister. Je le raconte souvent mais quand tu lis les écrits d’Apollinaire - qui n’est pas le plus grand écrivain sur l’art -, le seul artiste dont il dit c’est un grand artiste, c’est Picasso. Et à ce moment-là, Picasso a 22 ou 23 ans ! Quand tu as 22 ans et qu’Apollinaire dit déjà que tu es un grand artiste, ça te suffit pour ta vie ! Après, tu peux ne pas vendre, tu peux bouffer de la chaussure bouillie mais tu sais que quelqu’un a foi en toi. Et moi, c’est ce que j’ai toujours essayé d’apporter aux artistes. Je traite de la même manière un monument, un artiste de 70 ans qui a un parcours extraordinaire et un artiste de 25 ans, si j’ai le même enthousiasme et la même conviction. Pour moi, la critique est un exercice d’admiration !
C’est très important et comme aujourd’hui, il n’y a plus que le marché qui apporte cette reconnaissance, c’est d’autant plus important. Et pour te répondre précisément, c’est important pour les artistes mais c’est important pour les galeristes aussi. 
Photo
GALERISTES 2017 - Galerie Eric Mouchet
Photo
Galeristes 2017
Avant, tu avais un truc qui s’appelait la FIAC où toutes les bonnes galeries françaises allaient. J’ai ouvert une galerie en 1992, en 1993, j’étais à la FIAC. Il y avait peut-être 150 galeries françaises qui allaient à la FIAC sur peut-être 250 galeries à Paris ! Aujourd’hui, je crois qu’il y a 70 galeries françaises à la FIAC y compris les marchands (second marché : 1900-2000, Seroussi ou Prazan) et donc peut-être 40-50 galeries d’art contemporain. Et rien que dans Galerie Mode d’Emploi (MAP), tu en as 70. Et dans MAP, tu as que des bonnes galeries mais tu as aussi beaucoup de bonnes galeries qui ne sont pas dans MAP (ou qui sont hors du périmètre géographique de MAP). Donc ça veut dire qu’aujourd’hui, la FIAC n’accepte qu’une bonne galerie française sur quatre. Ça veut dire quoi ? Très concrètement, tu as trois très bons galeristes sur quatre qui ne sont pas pris à la FIAC. ​Comme on est toujours dans l’idée que ce qui est bon est à la FIAC (le public, les collectionneurs), ces gens-là qui ne sont pas pris se disent « je suis une merde ». A partir de là, qu’est-ce qu’il se passe ? Soit ils se disent « je suis une merde pour eux, mais j’ai la conviction très forte que je n’en suis pas une et que ce que je fais est bon et que mes artistes sont bons et que je vais tenir bon », il faut avoir des clients qui te soutiennent. Mais quand le client te demande ce que tu vas montrer à la FIAC et que tu réponds que tu n’es pas pris… Et je ne parle pas des jeunes qui n’y ont jamais été, mais je parle des galeries qui y ont toujours été. Une galerie comme Catherine Issert qui avait fait toutes les FIAC de 77 à 2010 et qui ensuite se fait jeter de la FIAC… 
​Qu’est-ce que ça renvoie comme signal ? Ça veut dire qu’elle n’est plus au niveau ? Et donc après, c’est la spirale infernale. Tu n’es plus au niveau, donc les gens ne viennent plus te voir, donc ça devient de plus en plus dur… 
Soit les galeries qui ont été éjectés se disent « je suis éjecté parce que je suis pas bon ». Donc ils changent d’artistes et essaient de revenir. Et ce qui est encore plus pervers, c’est que la FIAC les accepte mais impose à la galerie de venir avec tel ou tel artiste ! C’est une spirale infernale, car tu ne montres qu’un bout de ce que tu fais ! Voire même, je l’ai déjà observé, quelque chose qui ne correspond même plus à ton programme ! C’était arrivé par exemple à l’époque à Anne de Villepoix à qui la FIAC avait imposé, après plusieurs années où elle n’avait pas été prise, qu’elle fasse un solo show de Rosemarie Trockel avec qui elle ne travaillait plus !
Je me suis dit "je vais créer un événement, qui va être sélectif mais avec d’autres critères que ceux de la FIAC".
Quels sont-ils ?
On les a défini. J’ai fait un comité d’artistes et de collectionneurs, car dans toutes les foires se sont des galeries qui se cooptent alors qu’en fait, les usagers des galeries sont des collectionneurs et des artistes. Je leur ai dit : est-ce que d’après vous ce sont de bonnes galeries ?
À ce moment, cela nous a poussé à nous interroger sur ce qu’est une bonne galerie. La plupart de ces foires choisissent les artistes bankables du moment, mais je sais car je suis vieux que les stars d’hier sont les ringards du moment… Par exemple, cette année, je vais aux Tuileries et je vois une œuvre de Keiji Uematsu, présenté par la galerie Simon Lee - Londres, Hong Kong, New York, super galerie, super puissante… Quelle n’a pas été ma stupeur : je connais bien cet artiste car il est montré chez Baudoin Lebon. Et lui a été éjecté de la FIAC il y a une bonne dizaine d’années car on a considéré qu’il était ringard !!! Et pourtant j’ai vérifié maintenant sur son site, il montrait Uematsu depuis 38 ans et il le montre toujours aujourd’hui ! C’est absolument aberrant : tu as beau avoir les bons artistes, avoir eu les bonnes intuitions, et tu es éjecté du circuit à cause de ton image en tant que galerie !
"On ne leur demande pas ce qu’ils vont montrer mais de faire leur autoportrait ! Ce qu’on leur dit c’est : « vous avez une chance de rencontrer des gens qui ne vous connaissent pas, ou qui croient vous connaître et ne vous connaissent pas bien, donc qu’est-ce qui vous distingue de votre voisin ? Qu’est-ce qui fait que je dois aller chez vous? ». C’est un speed-dating en fait !"
​Nous, on ne s’est pas attaché à ce que les gens montrent. Pour une raison très basique, on se trompe toujours ! Il y en a qui se trompent moins que les autres et on devrait leur faire confiance. J’ai observé cela avec mon ami Jean Brolly, qui a eu une clairvoyance incroyable dans les années 70. Il achetait tout Rutault, tout Toroni, tout Morellet, puis Ming… Quand il a ouvert sa galerie, tout le monde a dit qu’il ne comprenait plus rien, qu’il était ringard. Il a montré un artiste dont plus personne ne voulait, Steven Parrino. Il n’a rien vendu. Deux ans après, Parrino est mort, il est entré chez Gagosian et maintenant ça vaut 1 million de dollars et on demandé à Jean de bien vouloir montrer des Parrino à la FIAC, après l’avoir éjecté !
Photo
GALERIE JEAN BROLLY-MATHIEU CHERKIT - Solar Office, 2018, huile sur toile, 81 x 100cm
​Donc je me suis dit, on ne va pas partir des œuvres, on va partir sur les galeristes. Un bon galeriste, on doit savoir ce que c’est. On a parlé avec les artistes et les collectionneurs et on est tombé sur un ensemble de critères : une galerie est un passeur entre l’artiste et le public. Ça veut dire qu’un bon galeriste, c’est quelqu’un qui est bien avec ses artistes, c’est-à-dire être fidèle, travailler à long terme avec ses artistes et les défendre. Mais il faut aussi en introduire des nouveaux. Ensuite, c’est quelqu’un qui en fait la promotion, qui participe à des catalogues. C’est aussi quelqu’un qui comprend le travail des artistes, qui accompagne intellectuellement et artistiquement les artistes. C’est aussi quelqu’un qui paie. C’est un critère que tout le monde oublie mais il y a des galeries qui paient pas ou peu les artistes… et bizarrement, il y a beaucoup de collectionneurs qui, quand ils achètent un artiste, c’est pour le soutenir… Donc si il n’est pas payé, c’est moins intéressant ! 
​Et ensuite, de l’autre côté, c’est aussi quelqu’un qui est disponible pour le public, qui sait bien présenter le travail de ses artistes et de rendre compte de son travail au public, qui est disponible, et qui fait un service après-vente pour les collectionneurs : qui reprend l’œuvre si tu t’en es lassé, si elle est cassée... En fait, un bon professionnel : quelqu’un qui est bien avec les artistes, avec le public et avec les collectionneurs. 
C’est sur ces critères-là qu’on a décidé de sélectionner les galeries, donc sur des critères purement professionnels. Et ensuite, on ne leur demande pas ce qu’ils vont montrer mais de faire leur autoportrait ! Ce qu’on leur dit c’est : « vous avez une chance de rencontrer des gens qui ne vous connaissent pas, ou qui croient vous connaître et ne vous connaissent pas bien, donc qu’est-ce qui vous distingue de votre voisin ? Qu’est-ce qui fait que je dois aller chez vous ? ». C’est un speed-dating en fait !
Ce qu’on veut montrer, c’est quel est l’individu derrière la galerie. Ce n’est pas uniquement quelqu’un qui a des œuvres à vous vendre, c’est quelqu’un qui a une position dans la vie, dans l’art, qui est singulière. C’est ça qu’on essaie de mettre en avant à Galeristes pour essayer de casser le cercle vicieux des foires : certains se disent « pourquoi j’irai circuler dans Paris alors que je vais dans une foire et que j’ai tout de suite 400 galeries ? ». Sauf que ce qu’on voit dans les foires, ce ne sont pas les galeries. Car les galeries, ce sont des espaces d’exposition, singuliers, avec des éclairages pensés, des artistes qui passent plusieurs jours à faire des installations… tout ce genre de choses qu’on ne peut pas faire dans une foire. Il faut inciter les gens à aller dans les galeries pour qu’ils voient des artistes et non pas dans les foires où ils ne voient que des objets et des marchandises. 

​Un conseil culture ?
Je viens de finir la lecture des « Carnets • Montparnasse 1971-1980 » de Shirley Godfarb, enfin réédités par La Table Ronde. Cette formidable peintre américaine a choisi Paris, où elle a adoré vivre, mais où le milieu de l’art l’a incroyablement mal accueillie. D’une lucidité totale (sur l’art, elle-même, puis la maladie, ce cancer qui aura raison de sa superbe vitalité), ces Carnets sont un témoignage unique sur les difficultés à être artiste, à vivre une vie d’artiste dans l’indifférence quasi générale. J’en conseille donc la lecture, non seulement à tous les artistes qui se demandent (parfois) pourquoi ils continuent, mais au-delà, à tous ceux que l’art passionne. Ce n’est pas du tout désespéré, au contraire ça donne la pêche pour affronter les difficultés avec humour et légèreté.
Quels sont les artistes contemporains qui t'ont marqué dernièrement ?
Oh ! Je suis un vrai cœur d’artichaut. Plein d’artistes me passionnent et rejoignent, petit à petit, mon panthéon personnel. Ces derniers temps, ce sont surtout des « morts vivants », des artistes qui malheureusement ont disparu sans bénéficier des regards, de l’intérêt, du succès auquel ils auraient dû avoir droit. Ils sont malheureusement pléthore, notamment dans l’art français des années 1960 à 1980. Leur insuccès me rend littéralement malade. Par exemple Marcel Bascoulard, le génial artiste-clochard de Bourges, ou Jean Raine, le seul cinéaste du groupe CoBRA, un peintre et écrivain hors norme, alcoolique, misanthrope, génial. Ou encore Jürg Kreienbühl, un peintre bâlois qui s’est installé, dans les années 1960, dans les bidonvilles des Hauts-de-Seine, dont il a peint de manière quasi hyperréaliste l’architecture, et les habitants. Cela tombe bien, ils sont tous les trois présents à Galeristes, le premier montré par Christophe Gaillard, le deuxième par Michel Descours, et le dernier par Gabrielle Maubrie, en solo show.  
Photo
GALERIE MAUBRIE, Jürg KREIENBÜHL, General Motors, 1961, Huile sur panneau, 80 x 90 cm

Découvrez le parcours de Stéphane Corréard !

Interview mené par Livia Perrier.

Quelques liens

http://galeristes.fr/

Crédits photo
Portrait : Fabrice Gousset
​Photos : Mehdi Mendas

La section commentaire est fermée.
© COPYRIGHT 2018. ALL RIGHTS RESERVED.
  • À PROPOS
  • Artistes
  • Professionnel·le·s
  • NEWSLETTER